Lorena Lohr[GBR]

  • Photographie & Cinéma

Interview

Le 24.11.2015 par Pauline Guillonneau

Dans le cadre de notre dossier sur le voyage en temps d’énième confinement, il nous a paru essentiel de repartager des artistes coups de coeur qui mettent en avant la vadrouille, la balade, le road trip dans toute sa splendeur. Alors qu’on ne peut plus voyager que pour motifs impérieux ou professionnels, on se dit que l’Art peut nous sauver et nous permettre de pérégriner en toute tranquillité ; tout en continuant de se nourrir de cet ailleurs qui d’habitude nous fait tant grandir. Lorena Lohr a voyagé très vite, très jeune et seule. Ses photographies émises après un long sillonnement américain ont lancé sa carrière de photographe. Fille adoptive – artistiquement parlant – de Stephen Shore, elle montre les détails d’un quotidien à l’étranger, difficilement ancrable dans un temps précis et surtout, vide de rencontres et d’humains. Alors ces séries photo ont un étrange écho à notre bizarre quotidien, sans périple et avec trop peu de copains.

Article de Pauline Guillonneau, initialement publié le 24.11.2015


À l’heure où nous bouclons notre 3e art-book à paraître ce novembre, on se replonge dans la toute première revue que nous avions créée, voilà 2 ans tout pile. Si le format n’a pas perduré, on en garde une belle sélection d’artistes qu’on à continué à suivre ces deux dernières années.

Lorena Lohr en fait partie. On avait adoré ses photo-reportages, brutes d’honnêteté, comme un hommage à Stephen Shore. L’anglaise présente désormais Ocean Sands, résultat de plusieurs années de travail à travers les Etats-Unis.

ARDENTE ÉTRANGETÉ

Étrangeté et familiarité vont de pair dans les photographies de l’anglo-canadienne Lorena Lohr. Depuis 2010, dans les pas d’Eggleston, elle traverse le Sud-Ouest américain en train, en bus ou à pied où elle glane au fil de ses voyages, des rues sans noms et des routes oubliées qui forment sa série Ocean Sands. Ses photos, exemptées de toute présence humaine, nous plongent dans des paysages fugaces et des moment inattendus. Seule la trace que l’homme a laissé dans ce monde nous apparait, ainsi immortalisée dans les restes d’un repas, d’une marque sur un mur, de morceaux de voiture, de pans d’architecture…

L’expérience de l’inconnu compilée aux sentiment accrus de l’étonnement et de la peur qui l’accompagnent ressortent de sa série pour nous rappeler notre éternel statut de visiteur de ce monde. Comme nous le disait Jean d’Ormesson dans le Juif errant : « L’espace est la forme de la puissance des hommes, le temps la forme de leur impuissance ». Temps et Espace. Espace tlret temps. Deux notions qui ne font qu’une, nous happent et nous rappellent que la vie ne s’arrête jamais et pousse toujours vers de nouveaux horizons inexplorés, empreints de poésie.

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TAFMAG : Comment as-tu commencé la photographie ? Y a t-il eu un moment précis où tu t’es dis : « Tiens, plus tard, je serai photographe » ?

Lorena Lohr : J’ai eu mon premier appareil et j’ai commencé à prendre des photos de ce qui m’entourait, emmagasinant ainsi une première collection de clichés à travers le temps. Je les ai montrés aux gens autour de moi au fur et à mesure. Et quelque part là-dedans, j’ai commencé à me présenter comme photographe.

J’habitais à ce moment-là aux Etats-Unis et je montais dans des bus et des trains, comme ça, me dirigeant vers les villes du Sud-Ouest. En plus des images que j’avais de la vie quotidienne – la mienne -, et des objets qui m’entouraient, j’ai commencé à avoir ces photographies de voyages. Je continue aujourd’hui de rapprocher ces deux séries, du voyage et du quotidien, pour n’en faire plus qu’une collection géante. Une sorte de collection de vie !

Tafmag : Comment t’es venu cet intérêt pour les détails, particulièrement ?

LL : Assez naturellement. J’ai toujours aimé regarder ce que personne ne voit. Mais ce qui est selon moi inhérent à un lieu. Peut-être aussi parce que la vie va si vite aujourd’hui ; j’aime me concentrer sur ces petits détails immuables.

TAFMAG Il y a une certaine nostalgie dans tes clichés due au vide, à la solitude. Est-ce une émotion que tu cherches à créer ?

LL : Je m’intéresse en effet au sentiment de solitude dans ma propre vie, mais je ne cherche en rien à exprimer quoique ce soit dans mes photos. Si c’est le sentiment qui en découle, alors très bien. Mais je ne veux surtout pas imposer une quelconque réaction au spectateur. Je préfère lui laisser libre champ. Je ne vois pas d’intérêt pour moi à comprendre d’où viennent ses émotions .

TAFMAG : Quelles influences peux-tu citer, à part Stephen Shore qui semble être une évidence ?

LL : Henry Wessel et Chauncey Hare sont les deux photographes à qui je pense immédiatement. Henry Wessel utilise les gens et les lieux sans retenue. Ses photos sont à la fois très vides et d’une indicible beauté. Dans le livre Interior America de Chauncey Hare, il y a la même ambiance, mais avec une touche d’humanité en plus, que Hare décrit dans une intro hyper sincère.

TAFMAG Que des photographes, donc ?

LL : Étonnant mais je suis également très influencée par les tableaux de la renaissance flamande des 15, 16 et 17ème siècles ; ceux de Hans Memling, Lucas Cranach, Pieter Bruegel et Hendrick Avercamp, notamment. Ce qui m’intéresse en particulier, c’est le désir de ces peintres de cerner toutes les facettes de la nature et des objets avec la même intention artistique, avec autant d’attention. Tout semble harmonieux, entre les lignes, les couleurs et la composition. Harmonieux mais aussi toujours sombre et chaotique.

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TAFMAG : Comme Shore, tu as beaucoup voyagé aux Etats Unis. Est-ce que le voyage est nécessaire pour ta photographie ?

LL : Non, mais c’est une bonne façon de revenir avec beaucoup de photos en peu de temps. En voyageant, les idées viennent rapidement avec de nouvelles sensations de la vie quotidienne à exploiter. C’est exaltant d’être dans un nouvel endroit où tu connais rien. Et à la fois je ne peux pas dépendre uniquement sur ce sentiment pour faire mes photos. Ça serait trop facile.

TAFMAG : Comment les Etats Unis ont–ils influencé ton travail ?

LL : Pour moi, les États-Unis sont organisés visuellement, d’une manière qui me parle. Il y a de la place, ce qui fait qui me permet de cadrer les villes, les villages ou la nature. Leur Histoire est récente et les immeubles du Sud et Sud-Ouest sont en bois ou en brique, mais pas en pierre qui dure pourtant des milliers d’années. C’est donc propice à la décomposition, tout semble étonnamment éphémère. Il y a du coup un sentiment d’ordre clair et à la fois de bordel sans nom.

TAFMAG : Ton projet est similaire à celui de Shore quand il a commencé Uncommon Places et American Surfaces. Dans le fait que vous photographiez tous les deux les détails de l’Amérique et sa solitude, quelque part. Comment comparerais-tu vos travaux, de ton côté ?

LL : Je vois l’ambiance similaire que l’on donne à nos séries. Le côté rapide et informel d’American Surfaces ou la topographie subtile d’Uncommon Places. En revanche, je me suis penchée sur le travail de Shore bien après avoir entendu les premières comparaisons entre nos travaux. La façon dont American Surfaces est structurée, la façon dont les images se réunissent en une collection ou peuvent être vues séparément sont importantes pour moi, dans mon idée de créer également une collection géante de photos.

TAFMAG : Des projets futurs ?

LL : Je reviens tout juste du Sud. On va bien voir ce qui se trouvent sur mes derniers films….

 

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